222 : Vie sociale et économique

Changer la médecine, changer de médecins. La vendée    Changer la médecine le 6 févr. 2018.pdf (127,6 kB)

 
 
 

 

« Changer la médecine

Changer les médecins »[1]

La Vendée, sur quelques-uns de ses territoires, comme dans nombre de départements français, connaît une quasi désertification médicale. D’une part, les malades ont le sentiment d’un abandon, considérant la présence de médecins de proximité comme un service au public. Leurs exigences, de plus, vont croissantes avec l’accès à l’information médicale informatisée. Les médecins, d’autre part, arrivant à l’âge de la retraite, ne trouvent plus de successeurs. De ce fait, certains n’en cherchent même plus. En outre, les jeunes médecins de leur côté, au sortir des Facultés de Médecine, choisissent le salariat et le travail en équipe, soit en Centre Hospitalier, soit en médecine de ville, ayant compris l’intérêt de la coordination des soins et du diagnostic partagé, se déchargeant de plus des soucis administratifs. Enfin, les élus qui, jusqu’à il y a une dizaine d’années, n’avaient pas de préoccupation sur le renouvellement des médecins et l’accès aux soins, se trouvent aujourd’hui en première ligne pour gérer cette pénurie. Les populations se tournent vers les maires, leur demandent des comptes sur ce sentiment d’abandon, sur l’inégale répartition des professionnels de santé et sur la liberté d’installation qui privilégie certains territoires et en pénalise d’autres. Dès lors les élus proposent des aides à l’installation de médecins…                                    

Cette approche quantitative du « nombre » de médecins généralistes est insuffisante. Elle ne nous empêche pas de prendre en compte d’autres questions sur l’avenir de la médecine dans nos territoires. Deux choix majeurs semblent se dessiner et posent d’une toute autre façon les perspectives d’organisation de l’accès au soin.

1 – Un colloque sur trois jours s’est tenu à Paris, en Juin 2017, rassemblant des sommités médicales, des opérateurs informatiques, des compagnies d’assurances et des banquiers. Il y a été présenté les progrès de l’informatique. Ceux-ci sont tels aujourd’hui que prend corps, aujourd’hui, l’idée de rassembler toutes les données médicales disponibles, de les élaborer sous forme de profils virtuels de malades, avec d’une part les caractéristiques morphologiques et psychologiques, et, d’autre part, les données biologiques liées aux pathologies. Ceci permettrait de disposer de modèles théoriques applicables aux patients, avec lesquels chacun pourrait s’identifier. Ces vastes ensembles seraient regroupés dans des laboratoires, à la disposition d’équipes d’informaticiens, voire de médecins, à l’échelon d’une ville ou d’un département. A l’autre bout de la chaîne, dans des cabinets de consultations, un informaticien, un infirmier (un infirmier-informaticien) accueille les patients. Pour chacun d’eux, assis ou allongé, entouré d’équipement des plus modernes, l’opérateur entre dans un ordinateur, soit en mode vocal, soit sur clavier, les données morphologiques, psychologiques et les données biologiques. Le cas de la grippe par exemple : le technicien entre les données du patient, sa température, sa tension artérielle, le taux d’oxygène du sang, les douleurs cérébrales, les courbatures, etc. L’ordinateur cherche le profil théorique adéquat, compare : le diagnostic est instantané.                                                                                                                                         Un médecin valide ou affine les données de l’ordinateur. En effet, plusieurs signes cliniques semblables peuvent avoir une origine maladive différente. Le médecin, qui plus est, ne travaille pas seul, mais en concertation avec des collègues dans des locaux ad hoc. L’ordonnance proposée est transmise par internet au pharmacien. La visite est achevée : gain de temps, sûreté du diagnostic, désencombrement des salles d’attente, etc. Au lieu d’avoir une file active de 30 patients par jour, le médecin peut en traiter beaucoup plus sur des zones géographiques importantes. Point n’est besoin d’avoir de nombreux médecins de proximité. Suffisent une ou deux personnes formées sachant faire la manipulation… Délais prévisibles de mise en chantier : 2-3 ans.

Cette proposition pose de multiples questions. En voici quelques-unes :

            - celle du glissement de la profession de médecin vers d’autres métiers non exclusivement médicaux. Dès lors, qu’en est-il de la question de la confiance du lien, parallèlement à la technique ? La base de la relation médicale repose sur la confiance. Est-elle possible avec un robot ou un professionnel de santé inconnu ? La responsabilité du médecin est diluée. Par ailleurs, il est fait allusion aux données psychologiques ; qui en fait l’appréciation ? Et sur quelles bases ?

            - si la transmission de l’ordonnance se fait sans intermédiaire chez le pharmacien, il y a risque d’une perte de qualité. Le patient prend ou fait prendre ses médicaments sans plus de contact. Or le pharmacien est un facilitateur, son rôle est essentiel. Il est parfois plus écoutant que le médecin lui-même. Il est partenaire connaissant bien ses clients.

            - Le moindre coût ? Mais est-ce si évident. Les économistes de la santé devraient nous éclairer sur le sujet. Le risque n’est-il pas que les personnes à faibles revenus et à moindre niveau culturel ne soient écartées de cet accès aux techniques de pointe ? Comment pourraient-elles dès lors être les chevilles ouvrières de leur propre état de santé ? Le risque en est grand d’une plus grande confiscation.

 

2 – Le livre récent du Professeur Grimaldi[2] conduit à une toute autre démarche. Les progrès de la médecine aujourd’hui sont tels que les patients entrent dans la maladie par une crise aiguë, nécessitant un traitement hospitalier. Ils se retrouvent par la suite en situation de malades chroniques. Ainsi, en va-t-il des personnes atteintes de diabète, du SIDA, des maladies respiratoires, de maladies rénales, etc. Deux éléments caractérisent ces patients : d’une part, ils savent qu’ils ne guériront pas, qu’ils auront ce désagrément toute leur vie ; ils prennent conscience, d’autre part, qu’ils ne sont plus comme les autres. Un double deuil est à faire, qui demande accompagnement. Certains, parce que justement bien accompagnés, ont découvert qu’ils pouvaient vivre avec la maladie et c’est toujours, pour eux, un vrai bonheur que de vivre encore. Parce qu’il y a eu compréhension de la maladie chronique, ils se considèrent comme survivants. Certes, c’est parfois très contraignant – pensons aux malades du SIDA ou aux dialysés – mais on peut vivre.                                                                                                                Désormais, ces patients sont classés dans la catégories des « Affections de Longue Durée (ALD) » Selon M. Grimaldi, ils sont aujourd’hui 20 millions en France, soit le tiers de la population. Cette nouvelle situation conduit les médecins, quels qu’ils soient et quoi qu’ils fassent, à repenser la médecine : ces patients ont besoin d’être accompagnés, certains le demandent expressément. De plus, la coordination entre professionnels avec les poly pathologies, est une exigence : « la prise en compte des maladies chroniques ne peut plus tolérer les cloisonnements professionnels et disciplinaires ». Des médecins se regroupent aujourd’hui dans des Maisons de Santé, des Centres de santé, entre autres pour cela. Ces structures peuvent-elles évoluer vers ces modèles d’accompagnement et de coordination ?       

Au quotidien, les généralistes ne peuvent que diversifier leur compétence, sortir de ce qu’ils savaient faire : diagnostic rapide, ordonnance pré-prescrite. Le patient ne veut plus être considéré seulement comme dépositaire de maladies et n’être identifié qu’à sa maladie, mais comme un sujet qu’il faut soigner et surtout accompagner. Si l’on parvient à libérer les professionnels des tâches administratives – à condition qu’ils le veuillent vraiment – ils pourront s’investir davantage dans la relation avec le malade. « C’est un compagnonnage qui est à instaurer » selon le mot d’un cadre infirmier.

Nous sommes devant un changement. Mais quelle forme peut prendre ce dernier ? Le statut de médecin devient plus incertain : le patient cherche à comprendre ses maladies en particulier par internet et les réseaux sociaux. Le médecin va un peu plus encore devenir apprenant de son patient. Il lui faut assumer cette nouvelle sa situation de pratiquer son art : la médecine ne guérit plus. Cela renvoie aux pratiques d’antan lorsque le généraliste voyant son ou ses patients en fin de vie leur disait : « Je ne peux plus rien pour vous, mais je reviendrai la semaine prochaine. »  On était dans l’accompagnement à petits pas. Le malade était dans le compagnonnage avec celui qui lui tenait la main… Le patient souhaite, aujourd’hui, être moins dans la prise en charge que dans la prise en compte. Il devient un collaborateur actif, de moins en moins passif. Internet lui permet d’anticiper le diagnostic - mais, parfois aussi, de se tromper -. Il parle avec d’autres malades atteints de pathologies semblables, échange sur les expériences et les réponses astucieuses des uns et des autres Il souhaite être acteur, collaborateur de toutes les phases de sa pathologie. Il en arrive à se persuader qu’il se connait mieux que son médecin. Sans doute y a-t-il du vrai « Je me connais bien. Mais mon médecin sait de moi des choses que je ne connais pas. » Or, dans le compagnonnage, l’important, ce sont les connaissances échangées. Des formations se développent aujourd’hui vis-à-vis des patients pour comprendre et se constituer partenaire de celui qui le soigne. Elles sont parfois validées pour un meilleur « prendre soin de soi », en particulier pour les séniors. Accompagner, coordonner, co-élaborer, coopérer : telles seraient les nouvelles facettes du métier de médecin en train de se construire.

 

Alors quelle sera la médecine de demain ?  Celle d’une médecine technicienne, industrielle, poussée à son plus haut niveau, où l’ordinateur se substitue pout tout ou partie au médecin, où la concurrence des moyens permettrait d’abaisser les coûts de diagnostic et de consultation ? Ou celle d’une médecine que certains appellent « humaniste » où l’éducation à la santé, la prévention et l’accompagnement seraient les maîtres mots de la démarche médicale. Dans les deux cas, il s’agit d’un changement assez radical. La réponse sera peut-être à la confluence des deux modèles ? Mais sont-ils conciliables ? Certains le pensent. Même si le premier est placé sous la logique de l’économie et du profit, et l’autre, plutôt sous la logique de la coopération et du partenariat. Or, remarque André Grimaldi « La logique de concurrence n’est guère compatible avec l’impératif de coordination des acteurs de soins. »                                          Il y a une certaine urgence à ce que les professionnels de la santé, mais aussi les patients et l’ensemble des citoyens d’un territoire s’emparent du débat. C’est en effet un problème de société autant que de patients. Les élus sont en première ligne, comme le montrent de nombreuses initiatives de leur part. Qu’ils n’aient pas peur de l’appréhender, de s’y salir les mains. Au fond, c’est le modèle du « médecin » qui va se transformer, non pas tout de suite : il faudra peut-être 25 ans pour que la formation dans les Facultés de médecine se modifie et produise ses effets, - déjà des Présidents de ces Facultés s’organisent pour prévoir d’autres modes de sélection des étudiants, qui ne seraient plus restreints aux sciences mathématiques et biologiques[3]-. Mais cela peut aussi se mettre en route rapidement sur le plan des territoires : de nouveaux rapports peuvent s’instaurer, qui nécessitent que les professionnels de santé entrent en dialogue avec le territoire sur lequel ils exercent, entrent en dialogue entre eux, entrent en dialogue avec l’hospitalier, avec les spécialistes, les psychiatres, avec les élus locaux, etc.  Dans quelles mesures les Maisons pluridisciplinaires de santé, les Centres de santé peuvent -ils y contribuer ? Les patients se refusent de plus en plus à être uniquement spectateurs et poussent désormais à la réforme. A chacun de voir comment mettre ce débat sur la place publique. C’est bien ce qu’avait anticipé, à la fin du XX° siècle, l’auteur de « Changer la médecine ou changer les médecins », le Docteur Pierre Guicheney.

 



[1] Pierre Guicheney, « Changer la médecine ou changer les médecins », Paris, GAMMA EDJ, 1986.

 

[2] Pr André Grimaldi, Yvanie Caillé, Frédéric Pierru, Didier Tabuteau, « les Maladies chroniques – vers la 3° médecine », PARIS, 2017, Odile Jacob

[3] Le Monde du 8 février 2018

 



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